samedi 18 mars 2017

Réveillez-vous, Majesté !

Avant-propos à mes Exercices de poésie pratique (en librairie depuis hier) :


     Chaque jour vous faites ce qui doit être fait, et dans l'ensemble vous le faites plutôt bien. Vous savez faire face, vous ne vous défilez pas, vous ne ménagez pas votre peine. Aussi, globalement, les journées se succèdent en vous donnant la satisfaction du devoir accompli. Ces journées font des semaines, qui font des mois, qui font des années, qui font une vie. Toute une vie avec la satisfaction du devoir accompli. Vous êtes un bon père (si si), une bonne mère (mais oui), une bonne fille, un bon garçon, un bon collègue, une bonne amie. Ce qui, flûte, ne vous suffit pas. Quelque chose d'essentiel semble manquer pour faire de votre vie au devoir accompli une vie heureuse. Ce quelque chose, vous le pressentez comme un supplément d'âme, un luxe, une dépense d'un ordre supérieur. Les mots vous manquent, mais l'intuition est claire. Appelons-la « aspiration à l'expérience poétique ». Vous en avez maintenant la certitude : votre vie ne sera heureuse qu'à la condition de répondre à cette aspiration. Parfait. Reste à régler la question des moyens.
     Comment s'ouvrir à ce qui n'est pas dans l'urgence ordinaire des jours sans avoir le sentiment de perdre son temps ? Comment surmonter la peur de l'inutile, du non-dispensable, de la gratuité, de la dépense pour rien ?
     Une voix en vous se sent indigne. Cette voix vous dit confusément que le bonheur n'est pas pour vous, que vous ne le méritez pas, que la véritable joie est forcément destinée à d'autres que vous – plus chanceux, plus doués, plus méritants. Cette voix sourde vous est familière. C'est la voix de la honte et de la peur. Elle est apparue très tôt, au sortir de l'enfance, et ne vous ne vous a plus quitté depuis.
     Mais, parallèlement, une toute autre voix ne cesse de s’élever également en vous, s'indignant de votre sentiment d'être indigne. Cette autre voix essaie de vous rappeler que vous être le roi se prenant pour un mendiant quémandant en guenilles au pied de son royaume. Réveillez-vous, Majesté ! La cour entière, impatiente, vous tend les bras. Reprenez votre place sur le trône. Cessez d'attendre qu'on jette deux sous dans votre sébile et relevez-vous pour de bon : votre trésor est à portée de votre main. Surtout, de grâce, arrêtez de mendier misérablement un peu d'inspiration et de poésie : vous êtes le maître du monde, sa source enchantée, le poète des poètes ! Il est plus que temps de reprendre place dans une vie poétique digne de votre excellence.