jeudi 7 mars 2019

Zazen (suite et fin)

Ça peut paraître étrange, mais si je ne me place pas au millimètre près comme le type ci-dessous, je ne médite pas - je rêvasse, je suis embarqué dans le train des pensées sans même m'en rendre compte. Je crois méditer mais en réalité je perds mon temps. Rien ne se passe. Autant faire la sieste ou aller boire un coup avec les copains.
Il m'a fallu tenir cette posture pendant des heures entières au dojo, des journées presque ininterrompues au temple, des semaines en retraite, des mois, des années. Il m'a fallu m'y confronter encore et encore, souffrant le martyre comme pas permis mais absolument certain que c'était pour moi le seul moyen (ce que je pouvais constater à chaque fois que j'envoyais tout valser : très vite c'était à nouveau l'horreur, le grand n'importe quoi dispersé, le retour de la plainte, du manque et de la frustration - le trou abyssal).
Et j'y retournais encore et encore, et j'en chiais des ronds de carotte, et c'était un délice de ne plus être seul, de partager ma souffrance à égalité avec d'autres sans avoir même avoir à parler. Quelle expérience unique du rapport à l'autre ! Le partage d'une totale intimité - sensorielle, corporelle, du souffle, de chaque bruit du dedans. On ne savait pas qui faisait quoi dans la vie en dehors du dojo - on pouvait méditer à côté d'un épicier, d'une avocate, d'un maître-nageur ou d'une hôtelière, on ne savait pas (on préférait ne pas savoir).
Donc des années et des années avec cette posture de plus en plus belle, de plus en plus intime, de plus en plus facile et ouverte, apportant de plus en plus de joie et d'intensité tranquille.