dimanche 6 mars 2022

Platine

Tu as vu, je dessine super bien les platines. Bien mieux en tout cas que les chiens enragés, les piétons pressés, le vent, les vagues, les enfants courant dans la maison, les boxeurs sur le ring (par exemple). Et pourquoi ça ? Parce que les platines, elles, ne bougent pas. Tout juste de temps à autre un disque qui tourne en leur centre, mais ça ne déstructure pas l'ensemble. Le seul risque est de tomber en hypnose si on en fixe la rotation. Ca m'est arrivé une fois lors d'une soirée où je m'ennuyais faute de ne pas m'être suffisamment drogué. En dessinant pour m'occuper un peu la platine qui se trouvait là, mon regard s'est porté sur le centre du disque en train de passer, et il m'était impossible de m'en détacher. Je suis resté penché comme ça, complètement immobile, figé, hagard, hébété, en extase, ni bien ni mal, absent dans la présence. Quand des amis sont venus me demander ce que j'étais en train de fabriquer, j'ai été incapable de leur répondre, ne cessant de fixer comme pour l'éternité le centre immobile du disque. J'y voyais la clé métaphysique que je cherchais depuis toujours pour comprendre ce monde étrange où nous vivons, cette terre ronde tournant sans fin dans le vide intergalactique. (J'aurais dû prendre des notes, car malheureusement je ne me souviens plus du tout de la formidable révélation qui venait de me tomber dessus.)