Le maintien de la pensée-moi nécessite un effort constant parce que ce n'est pas du tout naturel de se prendre pour une personne. Nous sommes les seuls êtres de la création à avoir cette ridicule prétention d'un moi central aux commandes de la vie (je pense, je décide, je crée, je mange, je pète, je meurs). Pour que cette croyance aberrante se maintienne comme force d'illusion il faut l'entretenir sans arrêt contre l'évidence de son absurdité. Aussi toute réflexion qui viendrait à la remettre en cause est aussitôt perçue comme une terrible menace — le château de cartes pourrait s'écrouler. Le réflexe de défense pour rejeter l'objection narcissiquement insupportable est alors immédiat : sarcasmes, mépris goguenard, amalgames intellectuellement malhonnêtes, etc. (La surchauffe défensive est le mode ordinaire du moi.)