Les premières ombres
Les premières ombres chinoises ne furent pas très réussies, à cause de son manque d'expérience et de l'anxiété que provoquait en lui le désir d'impressionner les fillettes. Le chien ressemblait à un canard, le canard à un crocodile, le crocodile à une trompe d'éléphant. Mais en faisant l'éléphant il obtint enfin son premier succès : c'était un pigeon parfait et, lorsqu'il voulut le perfectionner en allongeant ses auriculaires pour figurer les défenses, le pigeon étendit ses ailes. Il mima la tête d'une vieille femme et il en ressortit une voiture de course. Une paire de lunettes donna un chapeau. Un chapeau, le minaret des Omeyyades. Dans l'ombre, un petit vieux marchant avec une canne (combien de fois ne l'avait-il pas essayé la nuit passée !) devint un chignon enrubanné. Il ne comprenait pas pourquoi il les ratait tous, mais en même temps tous donnaient un autre résultat, certes distinct, mais reconnaissable et intéressant. S'il n'annonçait pas ce qui allait suivre, on pouvait croire qu'il s'était proposé de faire ce qui se présentait.
César Aira, Le testament du Magicien Ténor