Quand je suis entré à l'école
des beaux-arts, j'ai achevé ma première métamorphose. J'ai appris
que tout ne se valait pas, qu'il fallait distinguer et distinguer
encore, prendre parti, juger. J'ai donc rapidement pris l'habitude de
tout juger : mes frères (leur comportement idiot, leur intérêt
débile pour le sport), mes parents (je passe), les amis de mes
parents, mes copains, le goût des uns et des autres, la télé,
tout, tout ce que je voyais entendais lisais pensais, je me mettais aussitôt à le juger
péremptoirement, argumentant pompeusement, faisant le malin, le
pénible content de lui. Ce jeu est devenu une véritable manie, ma
seconde nature, renvoyant la première aux orties. J'étais loin
d'imaginer dans quelle misère allait me conduire bientôt cette
passion critique.
c'est dur - le yoga - les tensions - la respiration coincée - la vie c'est dur - c'est dur et bon - la vie est dure - pour tous - tous ! - exploités - exploitants - militants - crs - fonctionnaires - gouvernement - terrible ! - et comment on s'en sort malgré tout - c'est merveilleux - mixité spontanée - le soleil - chapeau - merci pour tout - namasté
Petit, cheveux d'ange, grands yeux bleus étonnés de tout, sourire désarmant, j'étais un enfant merveilleux. A l'école, on me surnommait "le petit Jésus". J'aimais tout observer de près. Le nez en trompette collé sur la vitre pour suivre la piste baveuse des escargots, les mains fouillant sans fin dans les petits cailloux à la recherche de coquillages, le monde foisonnant de l'herbe, mousse humide mouillant ma culotte, lichen sec sur le tronc des arbres, petits insectes cachés sous l'écorce, tortues surgissant de sous les buissons, hérissons charmants plein de tiques, j'étais aux anges, je ne rêvais pas. Il suffisait d'ouvrir les yeux et de pencher la tête. Joie.
Le jardin était sans fin et se renouvelait chaque jour. Il y avait le monde merveilleux de la mare, celui du ruisseau, le bruit des feuilles dans les peupliers, les coques piquantes chutant des marronniers aux larges feuilles, les limaces, les chenilles, les papillons nombreux et tant d'autres choses dont j'ai gardé le souvenir intact - moi qui n'ai le souvenir de rien.
Je voulais partager avec tous la joie qui débordait en moi. Je riais souvent. Adorable comme tout, j'étais adoré. Je vivais dans l'évidence absolue, la connaissance immédiate de tout avant l'arrivée du savoir.
Et puis, sans que je le vois venir, le temps que j'ignorais a rapidement allongé mon visage. Avec l'âge, je suis devenu anguleux. Plus ironique que rieur, plus inquiet que curieux. Il fallait s'y attendre.
(oh ma chérie d'amour, fais bien attention à toi, à tout)
*
Aataa kothe dhaave mana I tuze charana dekhiliyaa II
J'ai été béni par une vision
de Vos pieds sacrés, Seigneur.
Où mon esprit ratiocinant peut-il s'égarer à présent ?
Le sentiment d'être séparé de Vous
a totalement disparu, de même, l'idée
que j'ai un libre arbitre.
C'est la paix.
Joie profonde à étreindre Vos pieds.
La langue jouit de la constante récitation
de Votre nom
L'amour c'est la fin de la notion d'un moi distinct d'un autre moi. L'abandon total de la personne qu'on croyait être.
(enfer et damnature)
*
mon chat mélomane
(allez, un peu de poésie, ça détend les neurones)
FEU
C'est un homme dans le désert. Des cailloux, des rochers. Le soleil tombe. Lumière oranger. Une silhouette. Un homme près d'un arbre (?), son campement (?). Un nomade ? un réfugié ? un migrant ? un cowboy ? un Indien ? On ne sait pas. Il est seul, sûrement. Il sent la nuit tomber, sûrement. Il fait peut-être déjà un peu froid. Il se penche. Tire quelque chose de sa poche. Tient quelque chose au bout de ses doigts. Tend quelque chose au bout de ses bras. Il va mourir ? Oui, bien sûr, comme tout le monde. Il le sait ? Oui, forcément. Il y pense ? Non, pas maintenant, il est occupé. A quoi ? A se protéger. Contre quoi ? La nuit, le froid, la solitude. Et alors ? Alors, après avoir levé les bras et tendu on ne sait quoi vers le soleil qui disparaît, il se penche à nouveau. Pour quoi faire ? Va-t-en savoir. Et alors ? Alors il y a une petite lumière. Elle grandit. L'homme se recule. Une flamme s'élève. C'est le feu.
* * * * * *
Et cette toute petite bombe dans l'excellent livre de Sébastien Smirou : "Quand je parle de bluff, je ne fais qu'attribuer un nom commun, parlant pour Capa, à ce que Winnicott considérait comme une fuite dans la santé, une défense permettant à son auteur de ne pas affronter la dépression."
Sébastien Smirou, Un temps pour se séparer - Hélium (vient de paraître).
*
Les mots empêchent de rien comprendre.
(David Bosc)
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et ce dessin génial de l'ami Isaac Wens - je suis jaloux
Je ne dessine bien qu'en petit. C'est plus organique intime modeste, plus proche de l'écriture qui sort dessous la main sans s'étirer sur les murs comme le font ces ânes du Street-Art qui n'ont pas compris que ce qui est précieux ne s’étale pas — ce qui s'étale c'est l'ego, toujours, et il n'en a jamais assez.
Des petits dessins c'est comme des têtards : des embryons riches d'une potentialité qui n'a pas besoin de se déployer en grenouille pour nous attendrir.
Comme un idiot j'ai toujours essayé de trouver le moyen de faire grand (pour vendre et en foutre plein la vue, j'imagine). Comme tous mes essais gestuels se sont vite révélés bidons (de la gonflette), j'ai essayé autrement : en reprise fidèle à grande échelle par le biais de la projection. Ça produit des effets très étranges (genre Alice aux pays des merveilles mattonesques) et je n'ai pas l'impression de me trahir puisque le dessin est exactement le même, au poil de cul près, sauf que c'est plus grand. Pour le reste, I don't care.
L'accord intersubjectif en présence des objets (par exemple nous voyons tous une rose ici) indique la réalité partagée de ce qui perçoit en chacun de nous (et qui est identique chez chacun), et non comme on le croit d'ordinaire la réalité partagée de ce qui est perçu, le monde prétenduement extérieur et objectif (ce mirage). C'est dur mais c'est comme ça. Les roses n'existent que dans notre esprit.