(ni ceci ni cela)

lundi 8 avril 2019

Épiphanie mon amie


Comme les chats me fatiguaient à réclamer encore des croquettes, je suis parti me promener en fin d'après-midi. Je comptais faire une grande boucle en marchant d'un bon pas, mais sitôt arrivé à la première prairie j'ai été attiré par l'herbe très fraîche. J'ai voulu la fouler la sentir la toucher. Je me suis assis au pied d'un arbre. Il m'a fallu une ou deux minutes pour trouver une bonne verticalité détendue. Après quoi j'ai fermé les yeux quelques instants pour me mettre à l'écoute des sensations plus subtiles. Quand tout s'est déployé, j'ai soupiré et ma respiration est devenue plus intime. Alors j'ai doucement ouvert les yeux sans quitter le feeling d'unité. La vision est apparue non séparée. La prairie et les arbres avaient l'aura et la présence d'un tableau de Vermeer. C'est-à-dire que tout, chaque détail, chaque feuille, chaque brin d'herbe, chaque nuage, tout se tenait là de sa propre vie singulière et pourtant indissociable de l'ensemble. Comme s'il n'y avait plus de contingence. Un tableau si parfait qu'il était là sans être vu par personne (donc pas un tableau en fait). Comme s'il n'y avait que ça, qui était tout, sans autre chose ailleurs. Ce n'était pas une expérience mystique, je crois que c'était juste le monde normal quand il n'est pas vu en passant par le filtre "moi qui regarde et évalue".  
Comme c'était très stable, il n'y avait aucun effort à faire pour maintenir cette évidence (qui tenait d'elle-même). Le corps comprend. Il se régale quand on lui donne l'initiative. D'ailleurs il a commencé à bouger un peu - les mains, les bras... petits gestes étranges au ralenti...  petits rééquilibrages, orchestration de je ne sais quoi. Très agréable. Peut-être une heure comme ça. Après quoi je me suis levé tel Robert Walser pour reprendre ma promenade.